mercredi 14 juillet 2010

L'ouverture de la cage

L’ouverture de la cage

Théâtre

Cette pièce a été écrite en résidence d’écriture Ngoti 2003 à Yaoundé.

Wakeu Fogaing
B.P. 349 Bafoussam – Cameroun. messagerie: wakeufogaing@yahoo.fr
Téléphone : (237) 96 17 09 24


Personnages

Gotam-Guiadem

Méguia-Demgne

Soffeu-Guiakam

Mamto

Kamwoi

A ma grand-mère Demgne-Mawambo qui a cultivé sa sueur pour que j’aille à l’école.

1

Méguia-Demgne.- Comprends-moi ma sœur. Il faut que tu comprennes. C’est fou mais c’est la réalité même. Moi aussi je crois au rêve.
Dans ce village hommes ne se taisent pas femmes écoutent peu et ne disent rien. c’est la loi. L’unique réalité. On ne sait pas pourquoi c’est comme ça, et pourtant rien ne change.
Ecoute-moi bien ma sœur ! Il faut que tu m’écoutes.
Dans ce village où la vie se vit au quotidien, où échanges réels se font dans le monde des rêves,
Un rêve me traverse, te traverse aussi traverse toutes les femmes. Il détruit en nos cœurs l’autorité de l’homme. C’est fou ce rêve. Il est tellement grand qu’il demeure un rêve. Femmes ne disent rien. Crois-moi !
Gotam-Guiadem.- Tu ne peux pas dire ça. Il ne faut pas dire ça. Une cage vient de s’ouvrir. C’est tout. Quoi de mal à une cage qui s’ouvre ? Je ne vois pas le rêve. Quelque chose est claire.
Méguia-Demgne.- On a rarement compris pourquoi on est là. Comment on est arrivé là et pourquoi on part de là. C’est homme qui tient les ficelles. Comme une loi inchangeable. Laisse les choses se faire.
Gotam-Guiadem.- C’est par habitude que nous laissons les choses se faire. Par habitude nous nous attachons des ficelles et confions à homme qui les tient toute la vie. Par habitude ; qui a déjà vu la réalité dans ce sens ?
C’est n’est pas un crime de changer d’habitude ; c’est une bonne chose d’avoir l’habitude de changer. Si la loi se fait pour les hommes, elle doit naître, grandir, vieillir et mourir avec l’homme. Comme homme.
Méguia-Demgne.- C’est un peu tôt de laisser une cage ouverte. Personne ne souhaite l’ouverture d’une cage. Ne reste pas dans l’erreur.
Gotam-Guiadem.- Il faut la laisser ouverte. Plus tard c’est trop tard.
Méguia-Demgne.- Quel homme te comprendra ? Quel homme acceptera le rêve d’une femme ?
Gotam-Guiadem.- tous les hommes se laissent bercer par le rêve d’une femme. Et Je n’appelle personne au secours de la compréhension. Je me comprends. Qu’on ne m’accepte pas c’est plutôt bien. Une seconde pour moi ! Ce sera une seconde pour moi.
J’ai la rage de vivre. Je veux avoir mon moi à moi.
Méguia-Demgne.- Soffeu-Guiakam m’envoie te dire qu’il arrive. Tu as de la chance.
Gotam-Guiadem. Je n’ai pas le droit de lui supprimer sa liberté d’arriver. Qu’il arrive ! Ton mari.
Méguia-Demgne.- Il a le droit sur toi. Le droit de fermer ta cage. Tu sais bien qu’il est le dernier à avoir le droit sur toi. Tu lui as laissé l’opportunité d’avoir le droit sur toi
Gotam-Guiadem.- Mon avis ne compte pas.
Méguia-Demgne.- L’avis d’une femme ne compte pas. Ici c’est ici ! Tu comprends nous ne sommes pas ailleurs.
Gotam-Guiadem.- Ils n’ont pas demandé mon avis pour tuer quelqu’un. Pour la suite, je tiens à mon avis.
Méguia-Demgne.- Si c’est pour le plaisir d’avoir un avis.
Gotam-Guiadem.- Seul mon avis doit compter. Un moi doit avoir d’espace ; le mien.
Méguia-Demgne.- Alors fais semblant d’avoir un avis. A condition qu’il soit ce que pense Soffeu-Guiakam le chef de clan. Ne bouscule pas la loi. On ne bouscule pas la loi.
Gotam-Guiadem.- C’est ton mari à toi. La loi ne me bouscule pas. Je ne veux pas que la loi me bouscule.
Méguia-Demgne.- Bientôt il sera le nôtre.
Gotam-Guiadem.- J’ai le mien et je ne veux avec toi partager le tien. Garde ton mari. Garde-le loin de moi si tu ne veux pas ne plus avoir de mari.

*****

Soffeu-Guiakam.- Le soleil est là face à ces femmes et elles ne se rendent pas compte. Je vous pardonne…
Méguia-Demgne.- Il est là l’homme qui m’envoie. Soffeu-Guiakam le chef de clan.
Gotam-Guiadem.- Je tiens à une cage ouverte je dois avoir la liberté de sortir de la cage.
Soffeu-Guiakam.- Posons le problème.
Méguia-Demgne.- Tu viens avec un problème. Il n’y a pas de problème. Juste rester sur le chemin.
Soffeu-Guiakam.- J’ai le droit de t’avoir pour épouse. C’est la coutume qui l’exige.
Gotam-Guiadem.- Le pays à mal. C’est l’œuvre de homme qui se réclame maître de tout. Coutume ne sait rien exiger. Coutume ne me bouscule pas.
Méguia-Demgne.- il n’y a pas d’embouteillage. Qui doit être le maître ?
Soffeu-Guiakam.- Le maître ne fait pas problème. Posez une autre question ; j’ai les réponses. Quand un être disparaît, il faut immédiatement le remplacer. C’est l’exigence de la coutume. La coutume a toujours pensé à ça. Nous sommes tous dans la coutume.
Gotam-Guiadem.- La merde se déverse sur nos consciences ça pue très fort. Où est l’espace d’autrui ? Pas digérable ce que j’entends. Je suis hors de tout.
Méguia-Demgne.- Que nous proposes-tu ?
Gotam-Guiadem.- Je ne parle plus avec des inconnus. Coutume n’est devenue inconnue.
Soffeu-Guiakam.- Tu appelles qui inconnu ? Fais gaffe à la coutume. Digère-là. Hors de toi tu as des ennuis.
Gotam-Guiadem.- Je veux être seule. N’entrez pas dans mon espace. Protégez mon espace de vous.
Soffeu-Guiakam.- Une femme ne choisit pas d’être seule. La coutume… enfin je t’aime. Je ne l’exprime pas souvent…l’amour. Parle-moi !
Gotam-Guiadem.- vendredi, 16 janvier…
Méguia-Demgne.- Tu commences le mois là où on ne commence pas.
Gotam-Guiadem.- samedi, 17 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Nous sommes en 1982. Rien à voir avec la coutume. Je t’aime. C’est vrai tu as de la chance. Je t’aime femme.
Gotam-Guiadem.- dimanche, 18 janvier…
Méguia-Demgne.- Qu’est ce que tu tresses ? Ça m’embête un peu de parler en désordre. Nous sommes au mois de février.
Gotam-Guiadem.- lundi, 19 janvier…
Méguia-Demgne.- Les choses vont bien pour la plupart des gens. C’est dans les chiottes que chacun laisse sa merde. Et puis quoi ? Délire, folie, course folle dans la jungle. Ça ne rime à rien.
Gotam-Guiadem.- mardi, 20 Janvier…
Méguia-Demgne.- Et puis tu crois que le pays a mal. Quel mal ? C’est toi qui vois le mal partout. L’espace ici est communautaire. Pour le bien de la coutume.
Gotam-Guiadem.- mercredi, 21 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Le moustique transmet toujours le paludisme. Encore et encore. Des lustres. Quel est l’âge de l’histoire ? vieux comme mon sentiment. Femme j’ai quelque chose pour toi en moi.
Gotam-Guiadem.- jeudi, 22 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Le président parle à la radio et le mal que tu vois devient national. Le village se met à l’œuvre pour recevoir le mal. En France, la gauche est au pouvoir ; la main gauche. La droite se voit plutôt à l’extrême. Ici on s’en fout.
Gotam-Guiadem.- vendredi, 23 janvier…
Méguia-Demgne.- La politique ; la politique de France influence ici.
Femmes n’ont d’habitude rien à dire. Aucun espace à protéger. Ni à droite ni à gauche. On ne s’en fout pas. Reste sur les rails. C’est la tranquillité assurée.
Gotam-Guiadem.- samedi, 24 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Une femme ne s’oppose pas à mon droit. Continue si tu veux perdre quelque chose. C’est la loi à notre manière ; notre pays reste entièrement à droite. Aucun chancellement. Coutume fixe. Autorité totale de l’homme… il y a quelque chose de naturel.
Gotam-Guiadem.- dimanche, 25 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Pourquoi la femme est têtue. Tu viens de t’ouvrir les veines et rien ne change. Parle peu. Ton moi se couvrirai de mon moi. Si tu n’as pas de côte, je peux toujours t’en offrir. Suis sage.
Gotam-Guiadem.- lundi, 26 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Tu perds tout ton sang. Un nouveau gouvernement se forme. Ça influence quoi ? Pas la femme en tout cas !
Gotam-Guiadem.- mardi, 27 Janvier…
Soffeu-Guiakam.- tu choisis la voie du suicide. Le gouvernement programme les élections. Aucune femme n’est présidentiable. Pas même aux Etats-Unis. Et tu veux un espace pour toi. Nous sommes très loin d’Islande. Il y a toujours quelqu’un pour arrêter l’ambition de la femme. Depuis la création, elle n’a pas fait un pas. Un seul pas. Pas un seul pas. En Islande un peu.
Gotam-Guiadem.- mercredi, 28 janvier...
Soffeu-Guiakam.- Vous avez boycotté nous n’avons pas boycotté. Ils ont boycotté. Les élections sont annulées. On a parlé de fraude, le candidat unique n’a pas été élu. Pour cause de fraude. Ça fait rire. Il restera au pouvoir.
Gotam-Guiadem.-jeudi, 29
Soffeu-Guiakam.- Ce n’est pas une erreur. Le président sortant prête serment. La France se lève et dénonce l’incivisme des fauteurs de trouble. Boycotte de l’équité, jamais l’égalité n’a triomphé. La fraternité est prononcée. Nous attendons nous aussi quand viendra la liberté. On verra va voir ça c’est sûr.
Gotam-Guiadem.- vendredi, 30
Méguia-Demgne.- Les fauteurs de trouble meurent. Ton cœur se brise, s’écrase, s’émiette ; plus d’espoir. Plus d’espoir. Il faut tuer l’espoir. L’espoir n’existe pas. Qui a déjà vu l’espoir ? Personne il me semble. Pas même une femme. L’espoir c’est un rêve sans lendemain.
Gotam-Guiadem. - samedi, 31
Soffeu-Guiakam.- Arrête ! Putain, tu n’es pas un calendrier ton mari est mort. La vache ! Ça fait mal. C’est mal de voir les jours défilés. Sans espoir ! Tu ne te rends pas compte du chagrin qui s’écrase sur toi. Il n’y a pas de mouvement féministe…Ouvre-toi…Ici ! personne n’a jamais vu l’espoir venir au secours.
Gotam-Guiadem.- lundi…
Soffeu-Guiakam.- Une fenêtre s’ouvre pour moi et cette opportunité devient l’unique. Tu m’épouses et on n’en parle plus. Je t’aime peut-être… c’est quand je doute… Le bifteck ne philosophe pas.
Gotam-Guiadem.- mardi, 02 février….
Soffeu-Guiakam.- Tu as refusé d’épouser l’un des frères de ton mari. Tu ne veux pas les épouser. Tu connais la coutume. Je ne te fais pas la cour sale femme. La coutume n’a rien à voir avec la politique. Tu deviens ipso facto la propriété du chef de clan. Tu as de la chance. Je t’aime. Je suis le chef de clan qui t’aime. C’est moi le chef de clan. Ipso facto.
Tu es mon droit et tu as besoin de moi pour élever ton orpheline de fille. Je t’aime et c’est un cadeau. C’est comme ça. Ipso facto.
Ce soir c’est toi. La partenaire de mon jeu. Du jeu de mon moi et toi. Pas une autre. Tu ne vois pas que je suis ta chance ? Réalise. On peut même dire que je suis l’espoir.
Gotam-Guiadem.- Vendredi.
Soffeu-Guiakam.- Le chagrin envahit ta mémoire. C’est normal. Même en France l’avis de la femme ne compte pas. Ils n’ont jamais eu une femme comme président c’est clair ?. C’est la politique comme la coutume. Ne t’inquiète pas je vais te balancer une demi-douzaine de gosses. Sage. Pas conne.
Gotam-Guiadem.- vendredi…
Soffeu-Guiakam.- Normal que le calendrier s’arrête. Le temps se met parfois à produire la veille en veilleuse. Ouvre-toi au bonheur. Ipso facto. Souris!
Gotam-Guiadem. - Vendredi, 17 février…
Soffeu-Guiakam.- Es-tu obligée de rester attachée à un mort ? La femme ne vit pas le veuvage longtemps. C’est la loi ici. La femme vit comme ça. Partout ailleurs c’est pareil. Quand tu es femme tu es femme. Ipso facto ! Les islandais ont eu l’esprit glacé. Glacé et gelé. Un état qui profite de peu à la femme.
Gotam-Guiadem.- Où ça se passe ? C’est où l’action ?
Méguia-Demgne.- Ici au village. Ici à Djeumgheu. La réalité est palpable il n’y a pas de rêves qui tiennent. Si tu n’es pas à Djeumgheu…
Gotam-Guiadem.- Je ne suis plus dans votre réalité. Je l’étais. Ce qui a foiré n’a pas foiré par ma faute. Je quitte le très vrai qui ne change pas. Je mène le combat de mon rêve. Qui a parlé d’Islande ici ? Mon mari est mort pour me laisser libre. C’est une cage ouverte. Ipso facto.
Soffeu-Guiakam.- pas de ipso facto au féminin ! Où as-tu entendu une femme dire ipso facto ? Une femme ne mène pas un combat. La coutume ne permet pas ça.
Méguia-Demgne.- Ta fille doit aller à l’école. Il faut que ta fille aille à l’école.
Gotam-Guiadem.- Le pays a mal comme le village a mal. Ipso facto ! C’est la politique comme la coutume. Je mets une clôture à mon espace.
Soffeu-Guiakam.- Je n’ai pas envie de m’énerver. Aucun ipso facto n’est féminin.
Méguia-Demgne.- laisse ipso facto aux hommes. Tes beaux-frères réclament déjà la dot à ta famille. Qui peut rembourser pour toi ?
Gotam-Guiadem.- Coutume a mal comme politique a mal. Ipso mal ! La femme ne dirige pas si mal.
Soffeu-Guiakam.- Tu te donnes le droit de résonner ! La femme est une charge. Une charge ne résonne pas.

Méguia-Demgne.- Gotam-Guiadem, vide ta tête de tout résonnement. Tu ne peux pas vivre sans homme ici à Djeumgheu. Impossible ! Qui te protègera ?
Gotam-Guiadem.- Le village a mal et le pays ne sait pas. Coutume a mal et politique ne sait pas. Vois ! Qui ne voit pas ? Tout est ipso facto malade.
Soffeu-Guiakam.- Quelle femme tu fais ? Ton mari a eu raison de mourir.
Gotam-Guiadem.- Il est mort parce qu’il fallait qu’il meurt. Quel lâche pouvait mourir à sa place ?
Soffeu-Guiakam.- Après la pluie c’est le beau temps. Je suis le beau temps de Djeumgheu. Combien de femmes rêvent de me voir frapper à leur porte ? Je ne les aime pas. Tu ne vois pas que tu as de la chance ? Laisse-toi blesser par le mâle que je suis.
Gotam-Guiadem.- Ma pluie n’est pas encore tombée à plus tard le beau temps. Le mâle a mis partout le mal qui l’habite. Le mâle n’épouse que le pouvoir et méprise la femme.
Méguia-Demgne.- L’étonnement me tue. Une femme ne vit pas seule. Ne réfléchit pas. On n’a jamais entendu ça.
Gotam-Guiadem.- Je ne suis pas seule. Je suis la blessure d’un mâle. La femme d’un homme mort. J’ai mal à la blessure causée par des mâles cruels. Je reste la femme de mon mari mort. Qui ne voit rien ? L’unique femme de mort dans le village. C’est juste !
Soffeu-Guiakam.- Tu as eu tort d’épouser cet inconscient. Il a trouvé la mort en ouvrant trop sa sale bouche. S’il avait pensé à toi ; à sa fille il ne l’aurait pas fait.
Gotam-Guiadem.- Je l’ai épousé. Je l’ai épousé parce qu’il a pensé au village. Ce Djeumgheu que vous chantez sans cesse.
Je l’ai épousé et vous ne l’avez pas laissé vivre. J’aurai donné mes seins à supprimer s’il avait été sans cœur comme les hommes de ce village.
Je l’ai épousé et vous ne l’avez pas laissé jouir de moi. Vous vouliez voir loin. Plus loin que sa vie.
Aujourd’hui tu te dresses sur tes mâles ergots pour croire que tu as des couilles pour remplacer les siennes. Faux ! Voilà l’espoir. Dans la poubelle.
Tu n’as pas su parler quand il fallait que les hommes à couilles parlent. Tu n’as rien dit quand les hommes de la capitale disaient qu’il n’y a que les femmes dans ce village.
Tu étais où ? Femme à ce moment ? Mâle ?
Seul a parlé mon mari. Mon homme. Il a parlé pour la peur des hommes qui l’ont empoisonné.
Il est mort après avoir sorti sa parole.
Il est mort parce que ceux qui voulaient qu’on ne parle pas étaient trop cons pour ne pas le laisser vivre.
Sa parole avait le poids de ses revendications ; le poids de toutes vos peurs unies, le poids de ses bourses d’hommes. Djeumgheu l’a tué. La raison de folie. L’espoir est parti.
Vous l’avez empoisonné le même soir parce que dans ce village il n’y avait plus de couilles aussi grosses. Est ce l’œuvre de la coutume ?
Vous l’avez lâchement tué ; un peu comme on porte la honte de sa bâtardise. Etait-ce l’ordre de la coutume ?
Tu veux m’épouser. Tu veux franchement m’épouser. Tu as le droit de m’épouser. Tu veux qu’une femme qui a connu les couilles de Tameu-Tchuendem se laisse étouffer par tes flasques couilles ? il n’y a plus d’espoir tu l’as dit.
Je veux bien me laisser blesser par un mâle. Où est-il ? Où sont les mâles de Djeumgheu ? Qu’ils se présentent au lieu d’attendre que la coutume me les offre sur des pièges à rats.
Vous n’êtes que la somme de vos peurs.
Il n’y a plus dans ce village que de couilles grosses comme la peur de dire non aux valets de la capitale.
Soffeu-Guiakam.- Tu es malade. Cette femme est malade.
Gotam-Guiadem.- Mon homme est mort tu entends ? Il est mort pour nous protéger ma fille et moi.
Soffeu-Guiakam.- Cette femme est folle. Malade. Malade et folle !
Gotam-Guiadem.-1982 à Djeumgheu ; ma fille a trois ans. Tameu-Tchuendem son père est là. Mort. Pas mort. Vivant comme aucun autre mort dans le village.
Qui ici peut supporter la coulée menstrues de mon désir de femme ? Qui ? Allez lever vos minuscules muscles vers des cuisses plus légères. Une femme sait dire non ! Une femme a dit non ! Vous n’avez jamais entendu ça ? Quand l’espoir s’en va c’est ça.
Soffeu-Guiakam.- Qui qu’il soit, Tameu-Tchuendem est mort et bien mort. Pour toujours mort. Moi Soffeu-Guiakam je te dis ; tu le sauras bientôt. Un non peut se transformer. Un non de femme ne résiste pas au temps.
Viendra le moment de regretter ce que tu as laissé ta langue dire.
Gotam-Guiadem.- Ce n’est pas ma langue qui a parlé. C’est moi. La femme de Tameu-Tchuendem le chasseur tué par ses Frères. Pour que je devienne le droit du notable chef de clan. Chacun se mue en fauve pour me dévorer. La proie ! Je suis la proie ? Ipso facto. Ipso facto à tous les coins.
Malheur ! On ne dévore pas la femme d’un chasseur. Malheur !
Soffeu-Guiakam.- Ton mari a brisé les portes de ta cage. Tu l’as laissé ouverte. Il a eu tort de mourir femme. Les anges de la souffrance sont à tes trousses. Ton malheur c’est que je t’aime. Comme un piège à rat.
Gotam-Guiadem.- jeudi, 25 février ...
Méguia-Demgne.- Ne recommence pas. Voilà elle recommence !
Gotam-Guiadem.- dimanche, 31 janvier…
Soffeu-Guiakam.- Je suis fatigué. Fatigué de me sentir déchiré par la voix d’une femme.
Gotam-Guiadem.- mercredi, 10 février…
Méguia-Demgne.- Pense à ta fille qui doit aller à l’école. Pense à la dot que tu dois rembourser. Pense à tout le mal que tu viens de faire aux hommes. Tu ne connais pas Djeumgheu. Il faut laisser les hommes avec leur ipso facto.
C’est très tôt de penser que tout est fini.
Il n’y a pas de point après ipso facto. L’autorité.


2

Méguia-Demgne.- Je croyais que rien n’était possible. Tout est possible maintenant je le sais. Té Soffeu-Guiakam ton fils est sorti de son école. Ingénieur des travaux publics. Il est grand notre fils.
Soffeu-Guiakam.- Il faut profiter de la vie au maximum. Je suis un grand homme et je le reste par mon fils. Quand la semence est de bonne qualité, la récolte est fantastique.
Méguia-Demgne.- Ton fils est devenu le plus grand homme de ce village à la capitale. Cadre de l’administration centrale. L’homme qui construira des ponts.
Soffeu-Guiakam.- Merci à moi pour tous les efforts que j’ai fournis. Merci à moi pour la brique et demi que j’ai versée pour son concours. Dans ce pays il faut être un homme capable pour avoir un fils cadre.
Méguia-Demgne.- Tu m’avais dit qu’il avait réussi le concours.
Soffeu-Guiakam.- C’est vrai ! On ne lisait que le nom de ceux qui avaient réussi. Réussi à donner si tu veux, la brique et demi. Le seul chemin.
Je suis aussi heureux de savoir que personne dans le village n’a eu le courage de faire le geste. Je suis le seul. Un avantage de la corruption ; creuser un fossé considérable entre les classes. Je suis le seul père ; le plus important de la contrée. L’unique qui a un fils cadre de l’administration centrale. Cadre à la capitale.
Méguia-Demgne.- Je suis la mère d’un cadre. La femme d’un chef de clan.
Soffeu-Guiakam.- Tu es la mère du seul cadre fils de ce village à la capitale. Tu peux me remercier de t’avoir épousée.
Méguia-Demgne.- L’unique mère d’un cadre… l’unique mère du cadre du village à la capitale. Bientôt je quitterai le village de temps en temps pour aller en ville passer des semaines chez un cadre. Mon fils. C’est par la réussite de nos enfants que nous prenons des libertés auprès de nos maris. Aller officiellement à la capitale.
Soffeu-Guiakam.- Il lui faut une femme. Tu ne trouves pas ? Il lui faut tout de suite une femme à ton fils. Ce n’est pas respectueux d’être un cadre célibataire.
Méguia-Demgne.- Je suis pour ton idée et contre ta façon de penser.
Soffeu-Guiakam.- Déjà ? Tu prends très vite tes libertés. Ignores-tu que c’est à moi que tu parles ?
Méguia-Demgne.- Je ne suis pas aveugle à l’évolution du monde. Ton fils est grand. Il a la liberté de choisir sa femme. Les jeunes aujourd’hui se prennent en charge.
Soffeu-Guiakam.- Aujourd’hui ! Ça veut dire quoi aujourd’hui ? Vous voulez bâtir le monde avec des rêves. Pas celui de Soffeu-Guiakam. Quelqu’un vous trompe femme. Je n’aime pas les rêves. Mon père a choisi ma femme pourquoi ne dois-je pas choisir celle de mon fils ? La coutume l’exige.
Méguia-Demgne.- On ne doit pas attraper une chenille pour coller sur l’arbre. Ton fils a le droit de refuser.
Soffeu-Guiakam.- Il ne doit pas. Depuis quand un fils a des droits devant son père ? Toujours quelque chose de l’évolution ? Ma femme me surprend. Notre coutume ne le permet pas.
Méguia-Demgne.- Je te préviens. Les enfants que nous faisons ne sont plus comme nous.
Soffeu-Guiakam.- Tu as déjà choisi pour ton fils ! Dis-le. Sa chenille est déjà au niveau de l’arbre ? Dis-le !
Méguia-Demgne.- Je respecte la coutume de Djeumgheu. Kamwoi m’a parlé d’une femme qu’il regarde depuis quelque temps à l’université. Il veut faire un choix.
Soffeu-Guiakam.- Ton fils est marié depuis quelques temps à l’université ! Il a fait un choix…
Méguia-Demgne.- Ce n’est pas ce que j’ai dit.
Soffeu-Guiakam.- Ce n’est pas loin de ce que tu as dit. Voilà ce que sait faire une femme ; monter nos enfants contre nous. Je me trouve où ?
Méguia-Demgne.- Voilà comment tu prends souvent les choses légères. Kamwoi m’a parlé du sentiment qui l’habite. Tout simplement. Il aime une fille qu’il regarde. Ce n’est pas une fille du village et il sait que tu seras une résistance.
Soffeu-Guiakam.- Et tu devines qu’il va refuser celle que moi son père je vais choisir. Qui lui a donné la vie ? C’est lui qui t’a dit ça ! Tout est organisé et je suis le dernier informé. Je prends ça comme une insulte. Je vais lui trouver une femme ici. Une fille de ce village. Malheur à lui !
Méguia-Demgne.- Donne la liberté à ton fils et qu’il te présente sa future femme. Qu’il fasse comme on fait à son époque. Tu n’es pas de son époque. Et la coutume ne refuse pas le passage des époques.
Soffeu-Guiakam.- Il n’y a pas deux époques. Nous sommes lui et moi de la même époque. Tu parles de quoi ? Ton fils et toi me classez dans une autre époque ? C’est ça ! Je n’ai pas demandé son avis pour payer ses études jusqu’à l’université. Il m’en a félicité.
Je n’ai pas demandé son avis pour verser la brique et demi de francs à l’école des travaux publics. Il m’en a félicité. Et tu veux que je demande son avis pour le choix de sa femme. Je suis son père. Si je ne suis pas son père, dis-le-moi !
Méguia-Demgne.- Dieu de keng-mali je n’ai jamais connu d’homme que toi ! Fille de ma mère ! Un seul père pour mes enfants.
Soffeu-Guiakam.- Je peux refuser son choix il n’a pas le droit de refuser le mien. Qui décide ? Je commande dans tout le clan et je ne peux pas choisir pour mon fils.
Méguia-Demgne.- Laisse-le faire. Le choix de la femme qui partagera sa vie.
Soffeu-Guiakam.- Pas avec une de ces filles de l’université. C’est refusé ! Il doit épouser une fille de ce village. Qui a même permis dans ce pays aux femmes d’aller à l’université ?
Méguia-Demgne.- Ce que tu dis est juste mais plus d’aujourd’hui. Il y a eu évolution.
Soffeu-Guiakam.- Ne me parle plus d’évolution ! Son travail aussi va partager sa vie. Je déteste ces drôles de manières que vous avez de défendre vos enfants quand ils ne sont plus à la charge du père.
Méguia-Demgne.- Je ne défends pas mon fils. Ouvre les yeux té Soffeu-Guiakam. Admets le point de vue des autres. Tu es grand homme. Il faut l’être à tous les coups.
Soffeu-Guiakam.- Bien sûr que je suis un grand homme. J’ai donné une brique et demi de francs pas pour que mon fils épouse une inconnue qu’il regarde à l’université. Regarder… explique-moi bien le regarder dont tu parles.
Méguia-Demgne.- Regarder ça ne s’explique pas. Il m’a dit qu’il regarde une fille c’est tout.
Soffeu-Guiakam.- Je me méfie du verbe regarder. Surtout celui que conjugue mon fils. Les jeunes ne conjuguent plus les verbes à notre façon.
Méguia-Demgne.- Tu es un grand homme je te dis. Ne t’attarde pas sur le détail. Personne d’autres ici à Djeumgheu n’a un fils cadre. Organise une fête pour le village.
Soffeu-Guiakam.- Méguia-Demgne Tu as bien parlé. On fête ce genre de chose avec une nouvelle femme. Prouve-moi Méguia-Demgne que je suis devenu plus grand. Tu sais cette femme que je veux depuis toujours. Vas-lui dire que mon fils est devenu cadre de l’administration centrale. Je veux fêter cette chose avec elle ; dis-lui ça s’il te plait ! Elle va changer d’avis sur moi je suis sûr.
Méguia-Demgne.- Tu réveilles des choses. Moi qui croyais cette histoire finie et oubliée. Homme n’aime pas l’échec. Il revient toujours à l’endroit où il a échoué. Ne peux-tu pas aller vers une nouvelle conquête ? Ton odeur ne passe pas chez cette femme.
Soffeu-Guiakam.- Je ne réveille rien. Je suis réaliste. Il faut savoir prendre du recul et revenir quand on croit la chance de son côté. J’aime cette femme. Son orgueil doit avoir vieilli avec le temps. La place de mon fils milite en ma faveur.
Méguia-Demgne.- Ce n’est pas de ce côté qu’il faut orienter sa chance. Cette femme de Tameu-Tchuendem n’est pas une femme. Avec elle, l’espoir n’existe pas.
Soffeu-Guiakam.- Pas si tu lui dis que je suis le père le plus important du village. Montre-moi que je ne me trompe pas. Elle va devenir une femme j’en suis sûr. Vas-lui dire à cette femme que je suis homme pour elle. Elle attend que quelqu’un vienne lui dire quelque chose de grand. Personne ne vient. Ne perds pas de temps. Je veux cette femme moi Soffeu-Guiakam le chef de clan. N’oublie pas que j’ai un fils cadre à la capitale.
Méguia-Demgne.- Je sais qui tu es et ça suffit.

3

Mamto.- Maman tu vis dans un village merveilleux. Depuis que je suis là, le vent est doux l’air est meilleur qu’en ville. Pourquoi tu interroges ton intérieur ?
Gotam-Guiadem.- Ce village n’est pas merveilleux ma fille. Djeumgheu n’est pas merveilleux. Je vis une carte ici et le combat que je croque ne se laisse pas faire. Ça fait vingt ans que je pense à ce jour où comme le soleil tu reviens dans ma maison. Grande. Beaucoup plus grande.
Mamto.- Repose-toi maman on ne mène pas un combat toute une vie. Le repos ça compte énormément.
Gotam-Guiadem.- C’est bête d’arrêter un combat quand on a l’impression que rien n’a changé. Qui peut se reposer quand ses adversaires sont debout ? Ne pense pas comme celles qu’on appelle femme ici.
Mamto.- Même si tu ne vois rien qui change, il y a toujours quelque chose qui change en vingt ans. Tu as tellement vu que tu ne veux plus voir.
Gotam-Guiadem.- Tu es une grande fille maintenant. C’est la seule chose qui a changé à mes yeux depuis la mort de ton père. Tu es une grande fille.
Mamto.- La dureté de la vie a terrassé les hommes. Plusieurs hommes. Et toi femme sans époux tu es restée solide et debout. C’est un combat réussi. La résistance. La peau est dure pour résister.
Gotam-Guiadem.- Il n’y a que la charpente qui est restée debout. Je suis vidée. Vide à l’intérieur. Tu peux me croire. J’attends que tu portes des ailes pour m’écrouler et vieillir.
Mamto.- Tu m’as déjà donnée des ailes ma mère. Personne dans le village ne te donne des ordres. Tu es libre. Une femme libre c’est pas cadeau.
Gotam-Guiadem.- Pourtant je suis dans une cage.
Mamto.- Je ne vois pas de cage tu parles de quelle cage ?
Gotam-Guiadem.- Il y a des choses qu’on ne voit pas. Tu manques des yeux pour voir. La coutume. Des ipso facto à tout bout de chemin.
Je t’aime beaucoup ma fille et pourtant il a fallu que je t’éloigne de moi pendant vingt ans pour que tu ailles à l’école. Dans ce village, aucune école n’a voulu recevoir la fille de la sorcière malade que je suis devenue. Tu m’as honorée de ta bravoure à l’école. Comme si tu savais qu’ici j’étais en mal de vivre.
Tout le monde voulait savoir ce que tu es devenue ; où tu te trouves. Personne n’a rien su. Je t’ai gardée au fond de moi. Sourire !
Après la mort de ton père ses frères ont voulu m’avoir. Tous. Un peu comme on a un champ commun. Ils l’ont voulu. Me déchirer le corps où loge l’âme de ton père Tameu-Tchuendem mort par leur faute. J’ai souffert de ce harcèlement qui m’a donné la réputation de sorcière. J’ai lutté chaque jour pour m’appartenir et surtout pour te garder loin de ces fauves. Plusieurs fois ils sont revenus à la charge. Ta mère non plus ne charge pas mal. J’ai appris à charger. Ils me voulaient en miette. Déchirer ce corps où loge l’âme de ton père.
Mamto.- Ils ne l’ont pas fait maman. Ils n’ont pas réussi à déchirer le corps où loge l’âme de mon père. Tameu-Tchuendem mon père. Ils ne t’ont pas eue. Ils ne t’auront jamais. C’est un combat réussi. Sourire !
Gotam-Guiadem.- La mort de ton père à ouvert la cage de ma possession. Ici quand un homme meurt, sa femme est libre le temps que dure la cérémonie de veuvage. Après, elle devient la chose des frères de son époux. La cage se referme.
Ton père en mourant a voulu que je n’appartienne qu’à toi. Il a ouvert ma cage. J’ai réussi à la garder ouverte. Contre la coutume.
Je ne suis pas sortie ma fille. Je ne pouvais pas sortir sans me convaincre de la nécessité profonde le l’acte. Au bord de ma cage, les flèches de la coutume m’ont toujours attendu.
Tu es une grande fille aujourd’hui. Sourire !
Mamto.- Mon père est fier de toi maman. La fille de mon père est fière de toi. Sourire !
Gotam-Guiadem.- Ton père m’a dit le jour de sa mort qu’il était fier de moi. Je lui ai promis de faire de toi la somme des garçons qu’il voulait avoir. Aujourd’hui je peux rire. Tu es le fils de ton père. Sourire !
Mamto.- Parle-moi de lui maman. Je ne le connais que très peu.
Gotam-Guiadem.- Qui va s’intéresser à l’histoire de cet homme que je sais mal raconter ?
Mamto.- Sa fille est revenue au village surtout pour mieux le connaître. Si je ne suis pas sa fille, ne me parle pas de lui ma mère.
Gotam-Guiadem.- Tu n’es pas sa fille si tu n’es pas ma fille.
Tameu-Tchuendem que j’ai connu était un homme. Ton père était et est le mari qu’il reste auprès de moi jusqu’à ce jour.
Il a fait de moi une femme remarquable. Il a choisi le métier de chasseur pour ne pas être le valet de quelqu’un. Ton père. Tameu-Tchuendem.
Il n’était que chasseur et pourtant il a fait comprendre à tout le village qu’il a fabriqué pour moi une couronne de perles. Vrai ! Aujourd’hui encore les gens meurent d’envie de voir ce bijou. Mon bijou précieux. Imaginaire mais précieux. Il n’était que chasseur quand il a découvert la fraude électorale que préparait le Chef du village.
Il n’était que chasseur et il a refusé le titre de noble que lui proposait le chef du village pour le faire taire. Il a refusé de devenir notable dans ce village au prix de sa langue.
Il a parlé à la place de ceux qui avaient peur de prendre la parole. Il a parlé pour chasser la honte du pays que le chef installait au village. Tameu-Tchuendem ton père.
Ses frères lui ont donné un poison venu de la capitale. Venu des mains du chef. Tameu-Tchuendem a quitté la vie. Quitter la vie c’est simple et lourd d’explication.
Ce n’est pas le poison qui l’a tué j’en suis sûre. Le poison ne pouvait rien faire à un corps pur comme le sien. Il a eu mal de la souillure de ses frères. Très mal ! C’est ce mal qui l’a eu. Un mal qu’il n’a pas su contenir. Haït des siens il est mort comme on se retire d’un milieu infecte. Je ne sais pas dire exactement ce qu’il a fait. Tameu-Tchuendem ton père a quitté la vie. Vingt années sont passées et la peur de rencontrer son fantôme hante toujours les hommes du village. J’ai voulu continuer sa lutte mais je ne suis qu’une femme. C’est simple à dire. Dur à comprendre. La cage restée ouverte m’a permis contre la volonté de tous de t’envoyer à l’école. Tu as poussé comme la silhouette de ton père. J’ai hâte de te passer le témoin.
Mamto.- Je vais bientôt finir mes études maman. Je ne veux entrer dans un combat qui ne me regarde pas. Tu as tenu la promesse faite à mon père. Sors de ta cage maintenant. Le combat est fini.
Gotam-Guiadem.- Je ne mérite pas ma sortie.
Mamto.- Tu la mérites maman et bien ! Combien d’hommes dans le village ont réussi à payer les études de leur enfant jusqu’à l’université ?
J’ai eu la licence maman. Dans le pays c’est rare je suis élue. Combien d’enfants ont la chance que j’ai ? C’est une fausse modestie de toujours croire que tu ne mérites pas ce succès.
Gotam-Guiadem.- Jamais je ne sortirai si ma fille ne comprend le combat de ma vie.
Mamto.- Le combat est terminé. Et c’est parce que je comprends que je le vois terminé. Je ne vois pas pourquoi tu veux me traîner dans cette histoire qui dure depuis vingt ans. Mon père a brisé les portes de ta cage et tu refuses de sortir. C’est fou après vingt ans de lutte.
Gotam-Guiadem.- Briser les portes est une étape ; sortir est une autre. Chaque étape une bataille à gagner. J’ai mérité l’ouverture. Face à la coutume. Mais la sortie…
Ceux qui se libèrent sans avoir la maturité se font briser aussitôt par la liberté. Tu sais ma fille la liberté se gagne au bout d’un combat fort. Tu es ma raison de lutte et ta réussite est ma fin. Pour la sortie… J’ai envie de pleurer. Je pleure.
Mamto.- Arrête de pleurer maman !
Gotam-Guiadem.- Je n’ai pas pleuré à la mort de ton père. La sorcière malade n’a versé aucune larme à la mort de Tameu-Tchuendem.
Mamto.- On ne pleure que les morts maman. Tu as dit que mon père n’est pas mort. Il vit en moi. Tu l’as installé en moi. Il s’est installé en moi. Il n’est pas mort.
Gotam-Guiadem.- C’est ta voix qui appelle mes larmes. Est-ce que ton père a lutté pour rien ? Est-ce que je lutte pour que cette cause soit perdue ? On ne pleure pas celui qui vit en nous. Je pleure parce que je ne sais pas si en nous on va réussir à le garder en vie.

4
Méguia-Demgne.- Je suis venue te voir de nouveau femme pour cette histoire d’il y a vingt ans. Sourire !
Gotam-Guiadem.- Ça fait vingt ans et quatre-vingt huit jours que mon mari est mort. Absence ! Qu’il m’a donné son âme. Sa vie en sacrifice de quoi ?
Méguia-Demgne.- La cage est restée ouverte. C’était ton souhait. Tu n’es pas sortie. Nous t’avons observée. Tu n’es pas sortie comme n’importe quelle femme aurait pu faire. Question ! Quelle est la raison de ta lutte ?
Gotam-Guiadem.- Je veux vivre au milieu de la coutume qui donne tous les droits à l’homme ; et à la femme rien que des devoirs. Je marche pour que tu comprennes que la femme n’est un vêtement. Un simple vêtement que l’homme porte comme il veut quand il veut. L’espoir ! Nous pouvons trouver l’espoir même s’il n’existe pas.
Méguia-Demgne.- Quittons les nuages pour regagner la terre. Té soffeu-Guiakam m’envoie te dire qu’il aimerait toujours planter des bananiers dans ton champ. Parole !
Il n’a pas cessé une seule seconde depuis vingt ans de t’aimer. Un sentiment fragile.
Gotam-Guiadem.- Ton mari sait que j’ai remboursé ma dot. Pour que ma cage reste ouverte. J’ai remboursé cette fortune en cinq ans. Cinq années ont suffi pour le faire. Comment ? une fragile détermination.
Méguia-Demgne.- Soffeu-Guiakam le chef de clan vient de voir son fils devenir cadre de l’administration centrale. Et il m’envoie te demander en mariage. Il tenait à t’épouser. Aujourd’hui il demande ta main. Une très grande fête mémorable sera organisée à la fois pour ton entrée dans sa concession et l’entrée de son fils dans l’administration. Prestige !
Gotam-Guiadem.- C’est bien de savoir que ton mari n’a plus le droit d’il y a vingt ans sur moi. Surprise ! Plus d’ipso facto !
Méguia-Demgne.- Après la solennelle réussite de son fils, té Soffeu-Guiakam a des regrets pour les antécédents d’il y a vingt ans. Je porte vers toi ses excuses qu’il adresse pour réparer le différent. Regret!
Gotam-Guiadem. - Dis-lui qu’en vingt ans je me suis contentée des bananiers plantés par Tameu-Tchuendem. Mon champ me donne satisfaction et il ne faut pas effacer les instants de bonheur. J’accepte réparation de la faute mais pas la suite. Je lui adresse mes félicitations pour la réussite de votre fils.
Je suis toujours à mon mari. Il n’était pas qu’un homme modèle mais beaucoup plus un modèle d’homme.
Méguia-Demgne.- té Soffeu-Guiakam est devenu humble depuis longtemps. Il veut être auprès de toi pour te servir et te voir heureuse.
Gotam-Guiadem.- Ce n’est pas possible d’être plus heureuse que je le suis maintenant. Ma fille est revenue au village après vingt ans d’absence. Je suis une sorcière malade mais bien dans sa peau. C’est aussi ça la coutume. Ecoute !
Méguia-Demgne.- Soffeu-Guiakam le chef de clan est à sa manière un modèle d’homme. Je t’assure qu’il est triste de ne pas te rendre service ; oublions la coutume et ses querelles. Tourne !
Gotam-Guiadem.- Il est triste parce qu’une femme lui résiste. Il était quelques années auparavant celui qui poussait les frères de mon mari à réclamer remboursement de ma dot. S’il tenait à me rendre heureuse, il aurait payé cette dot. C’était l’unique occasion malheureusement pour lui de m’avoir. On est loin !
Méguia-Demgne.- Pense à celle qu’on envoie tout le temps te voir. A moi. Est-ce que je ne compte pas pour toi ? Je te prie de devenir mon amie ; ma coépouse. Je ne te parle pas de coutume. Partage!
Gotam-Guiadem. - Tu ne veux pas que les choses changent. C’est pour ça que nous sommes différentes. Et ma cage que je veux toujours ouverte ; ça ne te dit rien. Je passe !
Tu viens me convaincre de partager ton mari. Je lutte pour ne pas partager un certain nombre de chose et surtout pour ne pas être partagée. Je souligne !
Pendant vingt ans j’étais la risée de tout Djeumgheu. Personne ici n’a voulu acheter mes récoltes pour me permettre de vivre. Je tiens !
Sans rancune ma sœur, tu peux me croire je suis allée vendre ailleurs. Tu connais l’histoire de ma fille avec les écoles du village.
Elle a étudié à vingt lieux d’ici. Imagine ce qui se serait passé si j’étais dans la cage fermée d’un homme. Comme le veut la coutume. Je marche !
Quand on ne peut pas étudier ici, on peut étudier ailleurs. Les hommes ont toujours cru qu’ici était le centre du monde. Ailleurs existe.
Je me tue à vous montrer femmes du village qu’on peut aussi bien vivre ici en allant chercher son bonheur ailleurs. La coutume l’ignore. Je comprends !
Dis à té Sofeu-Guiakam que ma fille qui n’a pas étudié ici est revenue au village grande, intelligente et forte. Ailleurs lui a fait du bien. Je le crie !
C’est un suicide à ce stade de suivre une amie qui veut qu’on s’enferme dans la cage de son chef de clan. Que ferons-nous des ipso facto ?
Méguia-Demgne.- Bravo pour ta fille. Fatigue-toi maintenant de cette querelle. Tu es forte et personne ne l’ignore. Même Soffeu-Guiakam avoue que tu es forte.
Gotam-Guiadem.- Qu’on me laisse tranquille. Coutume ou pas coutume je suis heureuse tranquille.

5

Kamwoi.- qu’est-ce qu’elle fait dans mon village ? Je rêve. Elle ne peut pas être dans mon village ce n’est pas elle. Illumination ?
Mamto.- Il se pose une question c’est sûr. Il a du mal à croire que je suis dans mon village. Se trompe.
Kamwoi.- Qu’est ce qui ce passe ? Elle ici ! Je veux savoir ce qu’elle fait ici. Il faut que je lui parle. Je fais le con ?
Mamto.- Va-t-il en fin m’adresser la parole ? Il se calme et me regarde. Son cœur lutte contre sa langue. Ça se sent. Tout se sent chez lui comme chez moi. Aïe !
Kamwoi.- Je ne sais pas si je me trompe. Qu’est-ce que je ne sais pas ? Tu es bien dans mon village.
Mamto.- Je suis dans mon village. Tu ne te trompes pas.
Kamwoi.- Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Possible…
Mamto.- Et tu veux comprendre. Je suis née dans ce village. C’est mon village.
Kamwoi.- Je suis le fils du chef de clan. Je connais tous les fils de ce village qui sont étudiants. Personne ne te connaît. Jamais on ne t’a vue en ces lieux. Blague !
Mamto.- Je suis partie de ce village toute petite. C’est la première fois que j’y reviens. Je suis là pour qu’on se rende compte que j’ai grandi et bien.
Kamwoi.- Je te parle.
Mamto.- Moi aussi.
Kamwoi.- C’est merveilleux ! Je te parle dans mon village.
Mamto.- Moi aussi.
Kamwoi.- J’ai de toi une image extraordinaire. Ça fait trois ans que je te regarde t’observe. Impossible de dire… je ne sais pas me taire d’habitude. Je parle un peu trop d’ailleurs. Avec toi impossible de…
Mamto.- Je sais. Il est difficile de ne pas voir les yeux qui te suivent sans relâche. Quand on a trop à dire on n’a plus de mots. Je t’entends tout dire. Tout au fond de moi.
Kamwoi.- Je ne m’en reviens pas. C’est avec toi que je parle.
Mamto.- Moi aussi.
Kamwoi.- Fille de mon village ! Je crois que je rêve. Elle ne peut pas être d’ici.
Mamto.- Ici je suis chez moi.
Kamwoi.- Mystérieuse comme toujours. Jamais je n’ai vu de fille aussi studieuse que toi.
Mamto.- Tu exagères. Je ne suis pas où tu me places. Il ya plusieurs marches à gravir encore.
Kamwoi.- Je viens de finir mes études.
Mamto.- Je sais.
Kamwoi.- Tu as eu la licence en droit public.
Mamto.- C’est juste.
Kamwoi.- Ce n’est de secret pour personne. Ta moyenne a été exceptionnelle. Fille de mon village.
Mamto.- ici je suis chez-moi. Ma mère pense que je suis le fils de mon père.
Kamwoi.- Elle n’a pas tort ta mère. Je ne vais plus avoir le plaisir de te boire. De te manger des yeux.
Mamto.- Je quitte l’université.
Kamwoi.- Pour une école ? Quelle école ?
Mamto.- l’école nationale d’administration et de magistrature.
Kamwoi.- C’est magnifique ! Qu’elle filière as-tu choisie ?
Mamto.- L’administration !
Kamwoi.- Ça me donne envie de t’embrasser.
Mamto.- Tu ne peux pas.
Kamwoi.- Toutes mes félicitations. Je t’embrasse !
Mamto.- merci ! Je félicite le premier cadre du village. Notre ingénieur.
Kamwoi.- J’aimerai fêter ça avec toi. Te serrer fort contre moi.
Mamto.- Tu ne peux pas.
Kamwoi.- Tu es l’étoile du village. Tes parents sont riches.
Mamto.- Non ! Je n’ai que ma mère.
Kamwoi.- Elle t’a mise dans cette école chique. Tu as de la chance.
Mamto.- J’ai réussi le concours.
Kamwoi.- Et ton nom s’est vu sur la liste des admis ?
Mamto.- Drôle de question.
Kamwoi.- Tu es naïve ! Ta mère a payé.
Mamto.- Ma mère n’a rien payé.
Kamwoi.- Ton école est la plus convoitée et par conséquent la plus chère du pays. Il faut deux briques et demie pour réussir ce concours.
Mamto.- Deux millions et demi. Où veux-tu que ma mère ait trouvé cet argent ?
Kamwoi.- Il n’y a pas d’exception. Tous les concours supérieurs se payent.
Mamto.- Je suis l’exception. J’ai réussi mon concours. Extra ?
Kamwoi.- Tu te crois la plus brave des étudiants du pays. Mais il y a un hic qui fait fonctionner le pays. L’argent.
Mamto.- Eh bien ! Je suis la plus brave. 18,77/20 de moyenne en licence. Il y a 5 ans qu’on n’a pas vu ça à l’université.
Kamwoi.- Ce n’est pas le droit d’entrer à l’école d’administration. Le pays est comme ça. Tu paies tu passes. Tu ne paies pas tu ne passes pas.
C’est la loi.
Mamto.- Il y a toujours des exceptions. Moi par exemple.
Kamwoi.- Moi aussi je suis brave mais mon père a payé le million et demi pour mon concours aux travaux publics. Ta mère a du se faire aider.
Mamto.- Ma mère n’a personne. Personne ne peut aider ma mère. Elle n’a pas payé cet argent.
Kamwoi.- Tu parles comme l’avocat des femmes. Qu’est ce qu’une femme n’est pas capable de faire ? C’est le mal du pays.
Mamto.- Le mal du pays n’a pas traversé ma mère. Elle ne peut pas plonger dans vos sales rivières. Qu’est-ce qui est dur à comprendre ?
Kamwoi.- ce n’est pas aujourd’hui qu’on plonge on y est noyé depuis longtemps. Demande-toi seulement où est ce que ta mère a pris tant d’argent.
Mamto.- J’ai réussi mon concours.
Kamwoi.- Ouvre les yeux on ne réussit pas de concours dans ce pays. On achète. Tout le monde compose ceux qui achètent réussissent.
Mamto.- Et si ma mère… Ça ne se peut pas.
Kamwoi.- Elle a acheté. C’est devenu une coutume.
Mamto.- quelle coutume ? Ce n’est pas le chat de ma mère. Ne peut pas se laisser briser par le système. Ma mère n’est pas vulgaire comme le pays.
Kamwoi.- C’est qui ta mère ?
Mamto.- Je suis en face de sa maison.
Kamwoi.- Impossible ! Ne me dit pas que cette maison est la vôtre.
Mamto.- C’est la maison de ma mère.
Kamwoi.- Putain ! Tu ne peux pas être la fille de …
Mamto.- …cette vieille sorcière. C’est ma mère.
Kamwoi.- Les rumeurs courent qu’elle a mangé sa fille il y a vingt ans dans la sorcellerie.
Mamto.- Je suis sa fille revenue de la sorcellerie. Et les rumeurs vont cesser de courir.
Kamwoi.- Ce n’est pas vrai ! Cette femme peut payer cet argent. Elle a payé.
Mamto.- Ma mère n’est pas comme ça. Je suis entrée par mon travail. Je sais que je suis brave.
Kamwoi.- Va à l’école de ta mère elle t’apprendra ce qui s’est réellement passé. Cette femme a une fille. C’est impossible. Une belle fille.
Mamto.- Tu ne m’apprends rien.

6

Kamwoi.- papa ce n’est pas possible ! La fille de cette sorcière est vivante.
Soffeu-Guiakam.- Bien sûr que sa fille est vivante. Quoi de plus normal ?
Kamwoi.- Elle est à l’université depuis trois ans. Personne ne la savait de ce village.
Soffeu-Guiakam.- A qu’elle université ? Malheur ! Pourquoi les filles à l’université ?
Kamwoi.- Je viens de la voir dans le village.
Soffeu-Guiakam.- La fille de qui à l’université ?
Kamwoi.- La fille de Gotam-Guiadem
Soffeu-Guiakam.- Cette femme ne peut pas avoir sa fille à l’université. Qu’elle université ? Malheur !
Kamwoi.- Elle est là dans le village. Je viens de la voir.
Soffeu-Guiakam.- Je sais qu’elle est dans le village.
Kamwoi.- C’est un miracle ! Je ne sais pas où cette femme a fabriqué deux briques et demi.
Soffeu-Guiakam.- Deux quoi ? Qu’elle est la mauvaise nouvelle ? Déchire ta parole.
Kamwoi.- Dans deux ans sa fille va devenir administrateur civil.
Soffeu-Guiakam.- Ce n’est pas sa fille !
Kamwoi.- je viens de voir une fille devant sa case
Soffeu-Guiakam.- C’est sa fille !
Kamwoi.- Elle a réussi le concours papa.
Soffeu-Guiakam.- La fille de cette femme.
Kamwoi.- Dans la plus grande école du pays.
Soffeu-Guiakam.- Comment a-t-elle pu ? L’entrée ne se paie plus ? Déchire ta parole.
Kamwoi.- Je ne sais plus. Deux briques et demie.
Soffeu-Guiakam.- de francs Cfa ! Ce n’est pas à sa portée. L’entrée dans cette école est devenue gratuite. On a eu tort de permettre l’entrée des femmes dans des grandes écoles.
Kamwoi.- Ce n’est pas possible papa.
Soffeu-Guiakam.- Tu veux dire que cette femme a pu ? Gotam-Guiadem ne peut pas défier les hommes de cette manière. Les hommes de la capitale ont eu le malheur de supprimer… des diables !
Kamwoi.- l’eau coule encore. Rude comme toujours. Détruit le système.
Soffeu-Guiakam.- La femme d’un chasseur paie deux briques et demi… et la fille d’un chasseur à l’école d’administration. Il y a une information qui nous échappe.
Kamwoi.- Elle l’a fait ! Pour cette école je crois. Difficile de faire autrement. Mauvais système.
Soffeu-Guiakam.- Cette femme n’est pas une femme. Je suis sûr ; elle n’est pas un arbre… je ne suis pas sûr. Il faut bien que je sois sûr d’une chose. Quoi ?
Kamwoi.- Elle a une fille papa ;
Soffeu-Guiakam.- On peut ne pas être une femme et avoir une fille. Cette femme est un arbre je crois qu’il faut se résoudre à cette idée.
Kamwoi.- J’aime sa fille.
Soffeu-Guiakam.- la fille d’un arbre ! Est-ce que ? Je ne suis pas dans un cauchemar !
Kamwoi.- Je l’aime depuis son premier jour à l’université. Elle est adorable. Qu’est ce que je fais papa ?
Soffeu-Guiakam.- Change tes yeux.
Kamwoi.- Comment çà !
Soffeu-Guiakam.- comment çà c’est arrivé ? Reviens à la raison.
Kamwoi.- Je suis sérieux papa.
Soffeu-Guiakam.- est-ce que tu vas enfin m’aider à me réveiller ?
Kamwoi.- Quoi ?
Soffeu-Guiakam.- L’oublier !
Kamwoi.- pouvoir c’est difficile. Je ne peux pas mon père. C’est plus fort que moi.
Soffeu-Guiakam.- Cesse de m’appeler ton père quand tu délires. Mes enfants n’ont pas la séduction facile. Tu aimes une fille d’un village voisin à l’université. Ta mère me l’a dit : épouse-la !
Kamwoi.- Cette fille est là dans le village, je n’ai jamais eu d’yeux que pour elle.
Soffeu-Guiakam.- Pas cette fille ! Epouse une … épouse n’importe quoi pas cette fille.
Kamwoi.- Sa mère est une sorcière. Je m’en fous.
Soffeu-Guiakam.- Tu es ivre !
Kamwoi.- Je ne bois pas.
Soffeu-Guiakam.- Arrête de boire. Quelle ivresse !
Kamwoi.- sa mère est sorcière pas elle.
Soffeu-Guiakam.- Sa mère n’est pas sorcière. Je l’ai ainsi appelé quand elle a refusé de m’épouser. J’ai aimé sa mère. Elle s’est comportée comme une déesse. Inaccessible !
Kamwoi.- Je veux épouser cette fille.
Soffeu-Guiakam.- Je suis contre ce mariage !
Kamwoi.- Pour quelle raison ?
Soffeu-Guiakam.- Ta mère est contre ce mariage. Cette fille n’a pas de père. Rien ne prouve que sa mère soit une femme.
Kamwoi.- Tu parles à la place de ma mère.
Soffeu-Guiakam.- Cette femme m’a humilié dans tout le village. Jamais je n’accepterai sa fille dans ma famille. Epouse qui tu veux pas elle. J’ai eu honte tu entends ; ton père sa queue entre les jambes à cause d’une femme. Mesure la gravité.
Kamwoi.- papa ! Pour la première fois…
Soffeu-Guiakam.- qu’est-ce qui t’arrive ? Arrête de boire. Tu es ivre.
Kamwoi.- Pour la première fois j’ai parlé à une fille que j’aime. Mon choix est fait.
Soffeu-Guiakam.- Nous allons continuer quand tu seras lucide.
Kamwoi.- Arrête de dire que j’ai bu !
Soffeu-Guiakam.- Ta parole pue l’alcool.
Kamwoi.- Je te parle de mon mariage.
Soffeu-Guiakam.- Ton père ne veut pas de cette fille.
Kamwoi.- Je n’épouse pas la femme de mon père. Pour la première fois je te dis non.
Soffeu-Guiakam.- Tu as arrangé ça avec ta mère. Ta mère m’a prévenu.
Kamwoi.- Je voulais faire la peinture après le bac. Tu as décidé que j’aille à l’université. J’y suis allé pour te faire plaisir
Soffeu-Guiakam.- Ta licence ne porte pas mon nom.
Kamwoi.- Apres la licence en physique je voulais devenir architecte. Tu as décidé que j’aille à l’école des travaux publics. J’y suis allé pour te faire plaisir
Soffeu-Guiakam.- J’ai payé une brique et demi… qui est cadre à la capitale ?
Kamwoi.- J’ai toujours obéi à tes décisions. Ça veut dire quoi faire le choix pour moi ? Je refuse de te laisser choisir la femme que je ne dois pas aimer. Qui est ivre ?
Soffeu-Guiakam.- Tu ne connais pas l’histoire de sa mère. Une femme difficile.
Kamwoi.- Ce n’est pas la main de la mère qui m’intéresse. Je parle de Mamto. Je n’ai rien à foutre de l’histoire de sa mère. Elle a refusé de t’épouser c’est normal je ne vois rien d’humiliant dans sa façon de faire.
Soffeu-Guiakam.- Tu exagères un peu !
Kamwoi.- Tu l’as calomniée dans tout le village. La traitant de sorcière-malade. Tout petit déjà je savais qu’elle avait mangé sa fille. Tu as monté tout le monde contre elle et tu te plains d’elle de s’être défendue. C’est ta faute si elle est comme ça !
Soffeu-Guiakam.- Et te voilà entrain de juger ton père.
Kamwoi.- tu trouves souvent la faute à tout le monde. Pour une fois accepte les tiennes. Je tiens à ce mariage mon père. C’est l’unique chose qui accomplira mon bonheur
Soffeu-Guiakam.- Continue de juger ton père. Je plaide coupable.
Kamwoi.- Si elle refuse ma demande je ne l’épouserai pas. C’est à mon père que j’ouvre mon cœur.
Soffeu-Guiakam.- Tu as bu !c’est sûr que tu as bu
Kamwoi.- Je n’ai pas bu
Soffeu-Guiakam.- Tu imites un ivrogne. C’est sûr tu imites un ivrogne
Kamwoi.- J’ai horreur des ivrognes
Soffeu-Guiakam.- Ton rêve est un cauchemar.







7

Mamto.- maman je viens de rencontrer quelqu’un. Je lui ai dit un mot pour la première fois.
Gotam-Guiadem.- qui as-tu rencontré ?
Mamto.- un garçon maman. L’homme qui n’a des yeux que pour moi depuis trois ans
Gotam-Guiadem.- Un ami de l’université ?
Mamto.- Il est plus qu’un ami maman. Je l’observe depuis longtemps. Il me plait.
Gotam-Guiadem.- Sait-il que tu es ma fille ?
Mamto.- Maman je veux savoir si j’ai réussi à ce concours.
Gotam-Guiadem.- Je vois de quoi vous avez parlé
Mamto.- Est-ce que j’ai réussi à ce concours ?
Gotam-Guiadem.- Je ne vois pas de quoi tu parles. Tu es brave ma fille.
Mamto.- Pour cela j’ai passé des nuits blanches. Je suis brave pour que tu n’aies pas eu à payer mes études pour rien. Je sais le moindre argent que tu dépenses pour moi sueur de ton sang.
Gotam-Guiadem.- Je suis heureuse ma fille.
Mamto.- Je veux savoir si j’ai réussi à ce concours.
Gotam-Guiadem.- Ton nom a été lu à la radio. Regarde ma fille. Regarde j’ai acheté des journaux où sont écrits ton nom. Tu as réussi. Qui a dit que tu n’as pas réussi ?
Mamto.- Parlons de comment j’ai réussi.
Gotam-Guiadem.- Tu as réussi comme tous ceux qui ont réussi. Pourquoi penses-tu que ta manière de réussir soit particulière ?
Mamto.- Tu es allée à la capitale maman. Tu es allée voir ces grosses gueules de la capitale.
Gotam-Guiadem.- Qui est l’homme avec qui tu as parlé ?
Mamto.- qu’as-tu à te reproché ? Le fils du chef de clan.
Gotam-Guiadem.- C’est son père qui l’a envoyé. Je t’ai dit l’autre jour que ce village n’est pas merveilleux.
Mamto.- Ce village ne t’a pas envoyé à la capitale. Tu as payé deux millions et demi pour voir mon nom dans tes journaux.
Gotam-Guiadem.- Est ce que je peux respirer. Il faut que je respire un petit moment ma fille
Mamto.- Mon père n’aurait pas voulu ça. Respire ! Respire le malheur que tu as porté.
Gotam-Guiadem.- Silence un peu ! Tu me fais mal.
Tu ne sais pas ce que ton père aurait voulu. Je ne suis qu’une veuve.
Mamto.- Dis-moi que tu n’as pas payé. C’est ce que je veux entendre.
Gotam-Guiadem.- Demain tu n’auras pas à le faire parce que tu auras trouvé un moyen de ne pas le faire. Ce sera ton moyen.
Mamto.- Tu as payé maman ! Tu as payé la fosse. Tu les as payés. Les diables.
Gotam-Guiadem.- J’ai payé ma fille… parce que c’est une merde que les hommes ont créé pour justifier la grosseur de leurs couilles. J’ai payé ma fille… pour panser ma blessure ouverte que les mâles du village étouffent au quotidien. Pour que le ver entre dans le fruit.
J’ai payé pour que le ver entre dans le fruit. Regarde-moi ma fille. Regarde bien qui je suis.
Est-ce que tu peux comprendre que je ne pouvais que payer ?
Mamto.- Tu m’as annulée maman.
J’ai passé des nuits blanches à étudier. Tu es allée annuler mes efforts. Je suis nulle maintenant pas ver.
Gotam-Guiadem.- Je n’ai rien annulé.
Mamto.- Si ! Maman tu es une tricheuse. L’envoûtement.
Gotam-Guiadem.- La tricherie est un élément présent dans tout combat. Il n’existe pas de combat sans tricherie. Dans ce pays, elle est érigée en règles incontournables.
Mamto.- J’ai étudié ma mère. J’ai étudie jours et nuits comment être ver. Le ver ne paie jamais le fruit. Il le détruit !
Gotam-Guiadem.- La loi ici c’est payer ma fille.
En plus il faut payer à temps. Ceux qui ont payé en retard sont sur la liste d’attente. On ne sait jamais ce qu’ils attendent.
Mamto.- Je ne suis plus moi ma mère. Je ne suis plus moi. Je porte la honte de n’avoir pas réussi. On nous annule.
Gotam-Guiadem.- Qui a dit que tu n’as pas réussi ? Tu as réussi et de la manière dont on réussit. Il n’y a pas d’autres façons de réussir à ce concours. Décharge-toi de la honte. C’est celle du pays pas celle de ta famille.
Mamto.- Et si personne n’avait payé maman ? Vois ! La honte nous entoure !
Tout le monde paie parce qu’il n’y a pas une seule personne dans ce pays qui soit allé là bas dire je ne paie pas. Vois ! Avec son argent dire je ne paie pas.
Mon père aurait fait ça !
Gotam-Guiadem.- Il est mort ton père.
Mamto.- Pourquoi veux-tu garder la vie quand elle ne vaut pas la peine ? Mon père a compris ça.
Gotam-Guiadem.- Je te comprends ma fille. Et je ne vois rien ! Tout le monde n’est pas ton père.
Mamto.- Tu ne me comprends plus. Tu ne vois plus rien. Où as-tu pris cet argent ?
Gotam-Guiadem.- Vingt ans d’économie ma fille. Vingt ans sans sommeil et sans larme.
Vingt ans ma fille. Vingt ans de sueur vingt ans de lutte contre la déchirure, le viol quotidien des femmes sans voix. Je suis épuisée. Qu’est ce qu’on fait quand on est épuisé ?
Mamto.- Et tu as pris cet argent. Tu es allée à la capitale sans qu’on ne t’y appelle. Et tu as donné à ceux qui violent, déchirent et décrètent qu’il n’y a pas d’autres moyens. Vois !
Gotam-Guiadem.- Ce n’est pas ce que tu crois.
Mamto.- Tu t’es laissé violer et tu ne sais pas. Tu es allée acheter la merde à la capitale. Tu vois ou tu ne vois pas ?
Gotam-Guiadem.- C’était la seule issue. Interroge autour de toi.
Mamto.- Tu n’étais pas obligée ma mère. Aucune femme ne se donne en viol. Aucune femme.
Gotam-Guiadem.- C’était aussi ma liberté que je voulais acheter. J’ai trop souffert ma fille. Trop.
Mamto.- On n’achète pas la liberté, on l’arrache. C’est parce que les gens l’achètent qu’ils la perdent aussitôt. Ouvre les yeux. La sueur de ton sang ?
Jamais plus tu ne sortiras de la cage. Avec ton argent, tu as acheté porte et serrure de la capitale. Dans mon esprit je savais qu’il y avait une personne qui ne pouvait pas payer : toi ma mère. C’est foutu ! Je suis nulle. Dans mon esprit je ne sais plus rien.
Gotam-Guiadem.- Il fait nuit. Je vois qu’il fait nuit.
Mamto.- C’est toi qui ne vois plus la lumière.
Gotam-Guiadem.- 1982
Mamto.- tu as souillé le témoin à me passer. Tu parlais de quel témoin ?
Gotam-Guiadem.- 83, 84, 85…
Mamto.- tu m’as appris qu’ailleurs était là pour ceux qui ne peuvent pas réussir ici.
Gotam-Guiadem.- 1986
Mamto.- tu m’as appris que l’homme était impuissant face à un autre homme. Vrai homme. Est-ce que tu sais encore tout ce que tu m’as appris ?
Gotam-Guiadem.- 87, 88…
Mamto.- tu as sacrifié toutes les années qui se sont passées.
Gotam-Guiadem.- 89, 90, 91, 1992….
Mamto.- Tu as payé cet argent pour rien. ? Ma mère s’est trompée. Je n’irai pas à cette école. Mon père ne peut me permettre d’aller dans une école sans mérite. Tameu-Tchuendem ne l’imagine pas.
Gotam-Guiadem.- 1998
Mamto.- quelqu’un de la liste d’attente aura attendu cette année pour quelque chose.
Gotam-Guiadem.- 1997
Mamto.- quand il n’y a pas d’issues ici, il faut chercher son issue ailleurs.
Gotam-Guiadem.- 1993 passe.1995 passe. 1997 passe.
Mamto.- Mon père doit être mort pour une cause. Pas pour rien.
Pas pour rien ! Qui sait ?
Gotam-Guiadem.- 2000. 2001. 2002. 1999.
Mamto.- Je vais faire autrement. Ma mère. Qui a dit qu’on ne pouvait pas faire autrement ?
Gotam-Guiadem.- Il est mort en 1982. Mon mari est mort le 30 Janvier. Un vendredi de janvier 82.
Mamto.- Je veux être la lumière. C’est ton souhait maman. Si je peux être la lumière.
Vas-tu savoir me voir sans des yeux nouveaux ?

8

Mamto.- ma mère est morte cette nuit.
Kamwoi.- Ta mère est morte !
Mamto.- Ce matin j’ai trouvé ma mère morte sur son lit. Son sang avait coulé. Son sang coulait sur le sol froid.
Ce matin le sang de ma mère sur le sol froid a nourri la terre ferme. J’ai faim.
Kamwoi.- Un assassinat!
Mamto.- Elle s’est ouvert les veines et son sang impur est sorti toute la nuit.
Kamwoi.- Pourquoi ? Pourquoi cette femme forte finit par le suicide ?
Mamto.- Elle voulait purifier son corps du sang souillé à la capitale.
Kamwoi.- Qu’est ce que tu racontes ?
Mamto.- La mort est venue libérer ma mère.
Kamwoi.- Tu es malade ! Ta mère était pleine de vie.
Mamto.- A quoi sert-il de vivre quand la vie ne nous est plus utile ?
Kamwoi.- tu développes une forme de pensée qui m’échappe. Où est son corps ?
Mamto.- Je viens d’enterrer ma mère. Tout près de la tombe de mon père.
Kamwoi.- Qu’est ce que tu as fait ? Tu n’as prévenu personne dans le village.
Tu as enterré ta mère seule !
Mamto.- Elle n’a pas d’ami dans le village. Ma mère n’avait pas d’ami.
Kamwoi.- Il y a la solidarité dans le village. Comment peux-tu croire qu’on va t’abandonner pendant le malheur ?
Mamto.- La solidarité ici c’est assisté les gens en cas de malheur ? Ma mère a vécu solitaire dans ce village plein de monde. Ne fallait pas alerter ses ennemis pour venir rire sur son cadavre.
Kamwoi.- Je suis un peu sourd à ton langage. Qu’est ce qui se passe ?
Mamto.- J’ai trouvé ce matin ma mère morte sur son lit.
La honte nationale l’a violé à mort à la capitale. Elle a perdu sa boussole. Impossible de survivre. Elle est morte pour que le témoin soit pur.
Kamwoi.- C’est quoi le témoin … malade. Contre quoi ? La lutte cause des morts. Restons en paix.
Mamto.- Payer deux briques et demie pour entrer dans une école publique n’est pas une paix. Il faut lutter pour une paix effective.
Impossible de croiser les bras face à cet environnement sanguinaire. Il faut sauver quelque chose. Au moins ce qui est récupérable.
Kamwoi.- Ils sont très forts ceux qui tiennent les ficelles. Nos députés ont voté la loi de l’impunité. Rien n’est récupérable.
Mamto.- tout est récupérable. Et où est la paix ? Sous nos talons ? En terre promise ? NON ! Au fond de nos mentalités superficielles.
Kamwoi.- Ne cherche pas dans la société les causes de la mort de ta mère. C’est elle qui s’est ouvert les veines.
Mamto.- Je ne te parle pas de ma mère mais de paix. Pourquoi les pourris restent longtemps au sommet ? Est-ce que la merde ne pue pas ?
Kamwoi.- La paix se trouve dans le silence. Peut-être qu’un jour nos dirigeants comprendront par eux-mêmes.
Mamto.- Faux et faux et faux. Tu entres aujourd’hui dans l’administration pour rembourser la brique et demi de ton père. C’est automatique tu lui es redevable. Tu seras obligé de faire comme ceux qui ont mangé cet argent. C’est naturel. Pourquoi chacun doit être redevable vis à vis de l’autre ?
Kamwoi.- c’est la loi de la jungle. Ils sont très puissants !
Mamto.- J’ai ma façon de manifester ma puissance. Dans la jungle la proie a neuf chances sur dix d’éviter les prédateurs. Ici il a treize sur dix d’être dévoré.
Il faut les briser. Y a-t-il un moyen de les briser ? Chaque puissant a une faiblesse.
Kamwoi.- A quoi penses-tu ?
Mamto.- je ne sais pas. C’est trop compliqué. Je ne vois pas la puissance dans la pourriture.
Kamwoi.- prends le temps de te calmer. Il faut mûrir pour attaquer les fauves.
Mamto.- je n’irai pas à leur école. Qu’est-ce qui me parle en moi ? Une voix ! La bonne.
Kamwoi.- Tu es belle et folle !
Mamto.- quel gâchis !
Kamwoi.- c’est cœur qui te parle.
Mamto.- cette école ne me ressemble pas. Trop bien pour ma peau de pauvre, habitant de pays pauvre.
Kamwoi.- c’est la faille que tu dois exploiter. Pour étaler un adversaire, il faut trouver sa faiblesse. Pour détruire le fruit, le ver passe toujours par un trou. La faille est là… l’idée originale pour tout attaquer, vaincre sans périr, triompher avec gloire.
Mamto.- pourquoi tout d’un coup tout vous paraît évident ? Personne n’a jamais ouvert le chemin de sa perte avec tant pompe et de publicité. Il y a un danger et c’est toujours au lieu où tout le monde passe car la meilleure manière de cacher un piège c’est de le mettre au vu de tous. On ne dompte pas la vipère en se laissant mordre par elle.
Kamwoi.- pense à toi. Où es-tu ? Que fais-tu pour toi ? Je t’aime.
Mamto.- pourquoi tu me dis ça ? Je ne sais plus ! L’argent de ma mère a empoisonné mon chemin. Je suis totalement effacée. Je ne peux pas me moquer de moi-même. Où est ma place ?
Kamwoi.- tu me gonfles à la fin. Qu’est-ce qui se passe dans ta tête ?
Mamto.- la fille d’une sorcière malade.
Kamwoi.- Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
Mamto.- Je mérite mieux ? Je ne veux pas. Je ne peux pas m’enfermer dans l’infernal système de la pourriture. Je peux la détruire. De l’extérieur. De l’extérieur on peut tout détruire.
Kamwoi.- Tu es seule. Tu peux quoi contre tout le pays ? De l’extérieur c’est difficile. C’est à l’extérieur qu’ils puisent leur force. Seule c’est un suicide.
Mamto.- Tout commence autour d’une personne seule. Marx était seul et sa parole a soulevé les prolétaires. Mao a commencé seul et la chine est tombée à ses pieds. Jésus était seul et aujourd’hui encore, on parle de son combat. On ne peut pas être seul si on lutte. Je ne suis pas seule. Je commence seule mais il est impossible que je ne sois pas suivie. Mon père est mort d’avoir parlé de fraude. Il ne faut pas que mes parents soient morts pour rien. Faut-il voir d’autres personnes mourir pour rien ? Je suis né avec la déchirure, j’ai grandi dans la déchirure loin de mon village. Je ne suis pas prête à construire le restant de mes jours sur la honte de l’ensemble des merdes qui constitue notre nation. Où sommes-nous ?
Kamwoi.- Prends le temps qu’il faut si tu tiens à la lutte. Une grande force ! Il faut une grande force. L’argent de ta mère est un appui…
Mamto.- Tu me déçois… tu penses encore à cet argent. Va-t-en !
Kamwoi.- je ne sais plus. Il y a quelque chose au fond de moi. Je veux garder ta voix au fond de moi. Ton image dans mon esprit anime ma vie déjà tu sais. Je veux quelque chose. Parle à mon intérieur. Ta voix peut éclairer l’obscur qu’il y a en moi. Perce mon mur.
Mamto.- je suis troublé. Est-ce que tu me comprends ou tu refuses de me comprendre ?

****
Soffeu-Guiakam.- ta mère et moi sommes unanimes. Notre fils n’épousera pas cette fille.
Kamwoi.- qu’est-ce qui vous prend de me suivre ?
Soffeu-Guiakam.- Tu ne l’épouseras pas. Nous avons ainsi décidé. Je veux voir sa mère.
Kamwoi.- sa mère est morte.
Soffeu-Guiakam.- Gotam-Guiadem était mortelle ?
Méguia-Demgne.- Je l’ai vu hier en bonne santé.
Mamto.- Je crois que j’ai entendu parler de mariage.
Soffeu-Guiakam.- Reste loin de mon fils. Je ne te veux pas dans ma famille.
Kamwoi.- Vous ne pouvez pas comprendre que sa mère s’est donné la mort ?
Soffeu-Guiakam.- Ce n’est pas pour ça que tu vas épouser sa fille.
Kamwoi.- Elle est morte parce qu’elle a payé deux millions et demi à la capitale.
Soffeu-Guiakam.- Elle avait payé cet argent ?
Kamwoi.- Il y a encore des gens qui ne supportent pas l’échec dans ce monde.
Soffeu-Guiakam.- Cette femme avait raison ; elle me dépasse. Elle a montré qu’elle me dépasse.
Méguia-Demgne.- Où est son corps ?
Mamto.- J’ai enterré ma mère !
Soffeu-Guiakam.- quoi ? il n’y a plus d’étoiles dans le ciel. Je suis où ?
Méguia-Demgne.- La coutume est bafouée ! On va tout voir dans cette famille. Enterrer une suicidée sans payer l’amende au roi? Une suicidée. Té Soffeu-Guiakam ton clan est foutu. Le roi va être en colère.
Kamwoi.- Le roi ne sert à rien dans une république.
Soffeu-Guiakam.- Je t’interdis de cracher sur la coutume comme ces insensées. Cette fille est comme sa mère. Jamais nous n’avons vu dans ce village une femme enterrer quelqu’un.
Après son école, le village souffrira de son mal.
Kamwoi.- Elle n’ira pas à cette école.
Méguia-Demgne.- Sa mère s’est-elle fait rembourser ?
Mamto.- cet argent n’est plus à nos convenances !
Soffeu-Guiakam.- Deux millions dans l’eau ! Kamwoi, va dans cette école étudier à sa place. On ne laisse pas deux million et demi comme ça. Va dire à ces hommes que tu es du même village.
Kamwoi.- Vous n’avez d’yeux que pour l’argent et le titre. Une femme que vous avez nommée sorcière malade vient de mourir et vous voulez déjà profiter de son argent.
Soffeu-Guiakam.- Si quelqu’un jette ce que tu cherches, tu ne ramasses pas ?
Kamwoi.- Même sa fille abandonne cet argent pour poursuivre le combat de son père.
Soffeu-Guiakam.- Et tu veux épouser cette malade ? Regarde comment est morte sa mère. Elle finira de la même manière. Dis-nous ici que tu as changé d’avis. Son père était la peste.
Mamto.- Il n’a pas besoin de changer d’avis. Je ne l’épouserai pas.
Kamwoi.- Pourquoi ? Tu n’as pas de voix ? Perce mon mur s’il te plait. Le noyau de mon corps attend ta voix. Parle ! Ne me ferme pas ta porte.
Mamto.- comprends-moi ! Il faut que je me retrouve.
Kamwoi.- tu me perds toi aussi ! Où suis-je ?
Mamto.- Votre fils est dans un camp qui n’est pas le mien. Vous avez de la chance. J’ai toujours aimé votre fils…
Kamwoi.- Tu m’as toujours aimé ? Qu’en est-il ? Tu sais que tu peux parler. Il y a une raison à tout. Donne-moi la tienne. Je te veux.
Mamto.- je ne peux pas me joindre à toi. Tu es le fils de leur école.
Soffeu-Guiakam.- Je ne viens que de te connaître et je te trouve sympathique. Tu as pour ton compte mon fils. Concentre-toi à ton avenir.
Kamwoi.- Elle a dit qu’elle m’a toujours aimé papa. Elle a dit ça et vous avez entendu.
Soffeu-Guiakam.- tu n’es pas venu d’un hybride mon fils. Quelle fille au monde ne t’aimerait pas ?
Mamto.- Gardez votre fils loin de moi. Je n’ai pas envie de changer d’avis.
Méguia-Demgne.- Cette fille est maudite. Que croit-elle qu’elle va devenir ? Mon fils n’est pas n’importe qui.
Kamwoi.- J’adore son orgueil maman.
Mamto.- rien. Je ne veux rien devenir. Seulement une fille.
Kamwoi.- Ça c’est de l’authenticité. Elle est comme aucune dans ce pays. Rare. J’entre dans ton école si tu veux. Tout de suite si tu veux. Si tu veux je fais tout ce que tu veux. Là maintenant et toujours si tu veux. Je me rends à toi. Où est mon bonheur ?
Mamto.- J’ai appris de ma mère que le bonheur, on peut aller le chercher ailleurs. Au fond de nous. Dans ce fond que nous ne connaissons pas. Ailleurs, on peut se former du mérite. Sans corrompre et sans être corrompu. L’ailleurs comme au fond de nous. A l’endroit qui nous habite loin de notre portée. C’est là. Ailleurs que j’irai chercher une formation pure. Une idée ; rien qu’une idée pour vivre. Je ne peux pas me laver ici.
Kamwoi.- je ne suis pas propre ; je veux me laver aussi. Comme tu veux avec toi. Tu n’es plus seule. Je te suis où tu vas Mamto. Creuse-moi pour trouver mon ailleurs.
Soffeu-Guiakam.- Qu’est ce que ton fils fait ? il est fou ! Si tu suis cette fille je te maudis Kamwoi. Je te maudis. De toute façon ce n’est pas moi qui vais perdre ma brique et demi. Je veux mon argent.
Méguia-Demgne.- ton père va te maudire Kamwoi et me chasser de sa concession selon la coutume. Quelle idée de croire que tu n’es pas propre ? Tu es pur mon fils. Pur je te dis. Ne te laisse pas ensorceler. C’est la femme qui suit l’homme pas le contraire.
Soffeu-Guiakam.- Méguia-Demgne appelle ton fils à la raison. Je suis encore calme. Je veux ma brique et demi.
Kamwoi.- Elle m’aime aussi ; l’idéal. J’attends d’elle une voix. Un jour je vous dirai ce que c’est une voix ; sa voix à elle pour moi tout seul. Va réclamer ton argent à ceux à qui tu as donné. Suivre mon chemin pour devenir… architecte peut-être. Elle doit savoir mieux que moi. Je veux construire en moi en elle. Maudis-moi père si tu ne m’aimes plus. Chasse ma mère ou tue-la… c’est ta femme pas la mienne. Et tu seras seul. Pas moi papa. Seul ! Qu’est-ce que j’oublie ? Ailleurs c’est partout où l’eau avec laquelle on se lave est la même pour tous. Qu’importe sa couleur ; elle lave quelque chose de nous.


Yaoundé le 14 septembre 2003

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